Comment imagine-t-on les rapports aux lieux, aux milieux et au vivant dans nos sociétés ?
Si l’écologisme apparaît aujourd’hui comme un monde échevelé et diversifié, souvent conflictuel, il permet aussi de multiples formes d’arrangements avec le réel et, de fait, le transforme, notamment en ouvrant des horizons d’action et en accommodant des mondes que l’on pensait irréconciliables.
Comme le montrent les auteurs de ce nouveau numéro de la revue Terrain. Dans une perspective historique, plusieurs auteurs suivent les évolutions d’un monde écologiste en perpétuelle mutation. Siniscalchi étudie le mouvement Slow food, réuni autour du slogan «Bon, propre et juste» qui correspond à l’évolution du mouvement, passant du plaisir gastronomique au respect de l’environnement puis à la justice sociale. Collins, en interrogeant le passé des quakers anglais, observe que leurs premiers préceptes, qui pronent une vie simple et frugale, sont actuellement interprétés comme un appel à la protection de l’environnement et à une consommation raisonnée. Par contre, du côté des catholiques, Turina remarque que seuls certains courants radicaux comme la théologie de la libération en Amérique latine rejoignent les mouvances écologistes. La majorité des catholiques reste en effet fidèle à un ordre hiérarchique soumettant la nature aux humains.
D’autres auteurs étudient l’écologisme au présent. Bernardina se demande pourquoi l’exposition de dépouilles d’animaux naturalisés est à la mode: serait-ce une tentative de réconcillier les hommes et la nature? Pruvost s’intéresse aux manières de vivre l’alternative écologique au quotidien : alimentation biologique, habitat écoconstruit, ancrage local et pratiques artisanales augmentent considérablement le temps de travail domestique, en contradiction avec les revendications féministes.
Autre situation contradictoire, les éoliennes. Hugh-Jones montre que les opposants aux éoliennes se
recrutent souvent du côté des écologistes, et que les sympathisant de cette énergie «verte» se trouvent en porte à faux, devenant des alliés de sociétés internationales dont les méthodes et les intérêts sont contraires à leurs idéaux. Houdart enfin, analyse le projet de l’architecte japonais Kengo Kuma pour l’Expo universelle d’Aichi en 2005, dont le thème était «Au-delà du développement: à la redécouverte de la sagesse de la nature»: Kuma propose une «architecture invisible» et un dispositif technique permettant d’augmenter les qualités sensibles d’un lieu naturel.
Terrain offre au lecteur une plongée au coeur de ce monde évolutif, tissé de conflits idéologiques et des compromis qu’ils suscitent. L’étude de ces aménagements pose avec une force nouvelle la question des horizons d’action qu’offre l’écologisme pour réorganiser le monde dans un avenir possible.